DU FLANEUR.

DESSINS PAR ALOPHK, DAIJMIER ET MAURISSET: AUBE PvT^e D 1 TC Ullt

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AUBERT, éditeur: I LaVIGNE, q]

Galerie V DELAPORTE'S 'ooa Sainl-Aodré. ISl

Parisian Repository, [n

3335c 37, & 38, SSSS2S3J

BLKLINGTON ARCADiî, Corner of

blRLlNGTON GARDENS.

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PHYSIOLOGIE

DU FLANEUR,

Physiologie

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II. I^ouis Huart.

VIGNETTES De rara. Alophe, Daumier et Maurisset.

PARIS,

AUBEHT ET C" , ? LAVIG.NË ,

(ialerie Vcro-Dod.it. ^ Uui.' du l'aoïi-st-André,

1S41.

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CHAPITRE I-.

Nouvelle définition de l'homme.

UBEPxT lEBSTCUK^

ristotc, rlatoii,Socrate, M. de Bonald, M. Cousin et une foule d'autres philosophes et naturalistes , dont le détail se- rait beaucoup trop long pour vous et pour moi, ontsucces- 1 sivement proposé de nouvelles ^définitions de ranimai qui est convenu de se nommer homme.

Les uns ont dit que l'homme était une

(i inteHùjcnce seiwic par des organes, ce qui me semble bien flatteur pour une foule d'épiciers, d'actionnaires et même de pairs de France.

D'autres ont tout simplement déclaré que l'homme est un animal à deux pieds et sans plumes; ce qui, comme l'a fort bien fait ob- server Diogène, nous met sur le pied de la plus parfaite égalité avec un simple coq qui vient d'être plumé par un cruel rôtisseur.

Aussi Platon, pour compléter sa définition de l'homme, aurait ajouter que c'est un ani- mal à deux pieds et sans plumes, non destiné \\ être mis à la broche : et encore les sauva- ges de la mer du Sud donneraient-ils un dé- menti à cette opinion philosophique et gastro- nomique.

Beaumarchais, par la voix de Figaro, décla- rait que le bipède en question ne se distinguail des autres animaux qu'en mangeant sans faim, en buvant sans soif et en faisant l'amour en tout temps.

Ceci se rapproche déjà plus de la vérité. Mais cette définition n'est pas encore totalement sa- tisfaisante ; car une foule de gens ne sont pas à même de se distinguer de la manière qu'exige

Bt-aumarcliais : il est beaucoup de pau- vres diables (jui ne i)euvent pas manger, même lorsqu'ils ont faim.

L'homme s'élève au-desstis de tous les autres animaux uniquement parce qu'il sait flâner.

On peut même affirmer que c'est sa su- périorité sociale, et, malgré M. de Beaumar- chais, qui cependant était un homme d'esprit, nous dirons que ce qui distingue essentielle- ment l'homme de la brute, oui! ce qui fait de l'homme le roi de la création , c'est qu'il sait perdre son temps et sa jeunesse par tous les climats et toutes les saisons possibles.

Étudiez plutôt les mœurs et les habitudes de tous les animaux de votre connaissance, et vous admirerez toute la justesse de cette remarque. Après qu'ils ont pris leur nourriture : le singe gambade, le chien court à droite et à gauche, l'ours tourne sur lui-même , le bœuf rumine, et ainsi de toutes les autres créatures (jui embellissent plus ou moins la surface de la terre. Mais l'homme seul , après son dîner , achète un cigare , qu'il consent à payer quatre sous parce qu'il est mauvais , puis il va flâner.

Donc, vous voyez bien que nous avons par-

faitemenl raison de définir ['homme : Un anvmal à deux pieds, sans plumes, à pa- letot, fumant et flânant.

Vous remarquerez encore que, pour se dis- tinguer du singe qui parfois se promène dans

9 les bois, la canne à la main, le flâneur pari- sien, par un excès de civilisation, a soin de porter sa canne dans sa poche : ce n'est pas utile, mais c'est gênant. Si la diiïérence entre ces deux animaux intelligents est peu sensible, en revanche les points par lesquels ils se ressem- blent sont nombreux et saillants. Ils ont également l'air de ne pensep à rien , de ne s'inquiéter, de ne s'occuper de rien. Ils vont tous deux à droite ou à gauche sans raison, sans but, et reviennent sur leuis pas sans plus de motifs; tous deux regardent les femmes dans le blanc des yeux et leur font des grima- ces plus ou moins amoureuses ; enfin , tous deux sont remarquables par l'inconvenance de leur tenue dans les lieux publics. Nous ne prétendons pas dire que le flâneur se permctt(^ toutes les légèretés du singe, mais rien n'est sa- cré pour lui ; vous le voyez baguenauder dans le palais des rois, dans le temple du Seigneur, dans le sanctuaire de la justice, partout se rencontrent des jolies femmes ou des hommes ridicules.

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CHAPITRE II.

Est-il donné à tout le monde de pouvoir flâner?

ien de plus com- mun que le nom , rien de plus rare que la chose ! » car il en est des flâneurs véritables tout comme des amis dont parlait La Fontaine, et si de notre défmi- lion (le Illumine, donnée dans notre chapitre précédent , on concluait que tous les hommes sont appelés à flâner, on se tromperait étrange- ment.

Il est des infortunés qui, par beaucoup de mo- tifs difTérenls, sont privés de goûter ce plaisir

11

(|ue nous ne craignons pas de nommer celui des dieux, car les dieux de l'Olympe eux-mêmes ne faisaient rien autre chose que de prendre une foule de travestissements pour pouvoir venir flâner tranquillement sur la terre comme de bons petits rentiers, après avoir pris leur demi- tasse d'Ambroisie, café de l'époque.

D'abord nous avons la classe nombreuse des infirmes, —on trouve peu de charme à se pro- mener sur la terrasse des Feuillants quand on est Quinze-Vingt , ou au beau milieu Ide l'allée des Tuileries, quand on est affligé d'une protubérance exagérée au milieu du dos ; on court même risque de se voir arrêter à la grille par un tourlourou qui prend à la lettre sa con- signe de ne laisser entrer aucun paquet.

Quand on est boiteux , on ne se promène qu'en voiture, et, si on a le malheur d'être sourd, on court grand risque de se faire écraser sur les boulevards. Vous voyez donc bien quel rare assemblage de qualités physiques exige le titre de flâneur, c'est pire qu'un conseil de révision.

Quant aux qualités morales, elles ne sont )as moins nombreuses, et nous nous en occupe- •ons plus tard.

1-i

Nous allions oublier une classe de malheureux auxquels la flânerie n'est permise que pendant les mois l'on mange des huîtres, nous voulons parler des flâneurs affligés par la na- ture d'un excès de santé et d'embonpoini.

Dès que les premiers rayons du soleil de mai vieiment h percer les nuages, le flâneur obèse est le plus infortuné des hommes ! Il veut en vain lutter contre sa destinée, à peine a-l-il fait

13 trois ou (iiialre cents pas sur l'asphalte du bou- levard, (lue les forces trahissent sou courage, ei tout ce qu'il peut faire, c'est d'aller tomber sur le tabouret du café le plus voisin, en s'épon- geant le front. Et pour se rafraîchir, l'impru- dent se met à boire deux ou trois bouteilles de bière, sa perfide et engraissante ennemie.

Les gens affligés de cinquante mille livres de : rentes ne peuvent pas davantage connaître la jouissance que procure une simple promenade faite pédestrement dans les boues de Paris, ces Turcarets se croiraient compromis à tout ja- mais s'ils étaient un peu éclaboussés, mais ils sont bien punis de leur vanité par l'ennui mor- tel qu'ils éprouvent à éclabousser les autres.

Les lanternes de la place de la Concorde, l'arc de l'Étoile et les arbres rabougris et ])oussiéreux du bois de Boulogne doivent finir par paraître bien monotones quand on les contemple trois cent soixante-cinq fois par an du fond du lan- dau, ou même du haut d'un cheval plus ou moins arabe, et pourtant voilà l'unique point de vue qu'offre une promenade au bois de Bou- logne. Pour se divertir de la sorte, autant vaut n'avoir pas le sou, mais cependant il ne faut pas pousser la iihilosophie juscpi'à navoir que des

(leltes, car alors on tombe dans un excès con- traire , et qui a lout autant, sinon même plus d'inconvéniens.

Le flâneur qui a des créanciers se voit pri\é de la jouissance d'une foule de rues, de quais, de places et de passages. Il faut qu'il se livre à une étude topographique toute particulière de Paris. Il lui est interdit de passer rue de Richelieu , attendu qu'un tailleur, impatienté d'attendre quelques fonds, pourrait lui former une barricade complète, rien qu'avec son mé- moire, tellement il est long.

La rue Saint-Honoré est l'asile d'un bottier féroce qui a juré de boire votre sang jusqu'à concurrence de cent cinquante-sept francs. Fuyez la rue Saint-Honoré, si vous ne voulez pas fournir à ce cannibale altéré une limonade prise ainsi dans vos veines.

Plus loin, c'est la rue du chapelier, puis, le passage du gantier, etc. , etc. c'est-à- dire que l'infortuné, pour se rendre du Palais- Royal à la place de la Bourse , est quelquefois obligé de prendre la rue Grenetat et la place Royale, tellement toutes les autres rues sont pour lui parsemées de dangereuses barricades.

Si l'imprudent débiteur a souscrit des lettres

13 (le change à un usurier, sa position devienl lo- talenient terrible, et il faut qu'il renonce entiè- rement à la flânerie, tant que le soleil n'est pas couché et que les réverbères ne sont pas levés, (iar il est fort peu agréable de faire dans Pa- ris une promenade forcée (juand on a sur les tidons deux gardes du conmierce qui emboîtent le pas, cela peut vous mener jusqu'en haut de la rue de Clichv.

Ifi

CHAPITRE III.

Des gens qui s'intitulent très-faussement

Flâneur.

ans toutes les clas- ses de la société on trouve une foule de gens qui, pleins d'une folle pré- somption , ou se laissant aller à un déplorable abus de la langue fran- çaise, s'intitulent flâneurs sans connaître les premiers éléments de cet art d'agrément que nous mettons de beaucoup au-dessus de la mu- sique , de la danse , et même des mathémati- ques.

17

On a confondu tous les genres; chacun a usurpé le titre de flâneur à tout propos , comme s'il eût été question de la moindre ba- gatelle. Aussi le téritable flâneur, qui a pris rang dans cette classe éminemment oisive il est vrai, mais fort respectable, ose à peine s'avouer flâneur c{uand il voit les êtres les plus incohé- rents lui dire avec une prétention incroyable : Je flâne.

Tous les jours vous rencontrez, ou du moins vous pouvez rencontrer sur la place Royale, des vieux petits bons hommes , occupés à manger leurs vieilles petites rentes, qui sortent de chez eux invariablement tous les jours h midi , sous le prétexte d'aller flâner.

Demandez-leur même ils vont, et ils vous répondront avec un petit air tout guilleret ! le vais flanor.

Or, cette flânerie consiste à aller s'asseoir, à vingt-cinq pas de là, sur un banc jusqu'à 'heure du dîner, en compagnie d'un , deux ou trois amis, et d'un, deux ou trois caniches. Puis, pendant cinq heures d'horloge , ces pré- tendus flâneurs, au Heu de marcher, font faire l'exercice à leurs chiens, à l'aide d'une canne qui remplace merveilleusement un fusil gisquet,

2

IS

sauf qu'elle est plus dangereuse pour peu qu'elle soit plombée.

Puis quand Azor , Castor ou Médor a suffi- samment fait la joie et l'orgueil de son maître, tous deux rentrent au logis et disent avec fierté , à la bonne prise pour tout faire : Nous ve- nons de flâner.

Azor serait encore celui des deux qui au- lail davantage le droit de proférer cette phrase, car de temps en temps il jette son fusil-gis-

U) quel pour aller pousser quelque lointaine el amoureuse reconnaissance dans les carrefours des environs.

Quand, par hasard, le vieux petit rentier est obligé de prondie de l'exercice par ordonnance spéciale du médecin , il a toujours son même système de se faire accompagner de l'ami Azor, de sorte que toute sa flânerie consiste à tirer la jambe , en tirant une ficelle , qui tire un chien.

l'endanl l'été ces mr'mos vieux Français ((iii

20 se vantent de faire partie de la nation la plus spirituelle de l'univers , se permettent un autre genre de flânerie , c'est de parcourir toutes les rues du Marais , en s'arrètant h tous les marchands de melons. Car ces hommes raf- folent des melons, quel amour propre !

Aller du \cvt Canttilou au jeune (^ro.sAC- C(Uc, puis retourner du j('un(' Grosse-Côte

•21 au vert Cantatou, tel est le programme in- variable de ces flâneries melonières, jusqu'à ce qu'enfin à force de flairer, notre melon, non, je veux dire notre homme, se décide enfin h faire son emplette et à rentrer triomphant dans son domicile, avec son végétal.

Bon nombre de flâneurs du djmanche peu- vent être aussi parfaitement rangés dans la ca- tégorie ci-dessus : rien de moins récréatif , ou plutôt rien de plus récréatif, car tout dépend du point de vue sous lequel on le prend , que le tableau d'une famille , respectable mais ennuyée, se permettant pour distraction, le di- manche soir , de suivre toute la ligne des bou- levards , depuis la Madelaine jusqu'à la Bas- tille.

Or, comme le dimanche toutes les boutiques sont fermées , les yeux ne sont récréés que par une série non interrompue de volets verts , cette nuance est irès-salutairepourla vue, mais cependant elle finit par devenir monotone.

Aussi le respectable père de famille qui a re- vêtu son habit du bleu le plus barbeau, pour prouver à sa fenmie et à sa fille le plaisir de cette petite flânerie, ne donne pas moins d'exer- icice à leurs machines qu'à leurs jambes.

Voici le taijleau ojjligé de toutes ces petites llaneiies de famille.

D'autres Parisiens, non moins pères de fa- mille, se permettent de rire beaucoup aux dé- pens de ces braves gens qui s'imaginent faire une promenade d'agrément , au milieu de la poussière du boulevard, et, pour ne pas tond)ef

23 dans ce ridicule , ils vont tous les dimanches, bien exactement , flâner sur la butte Mont- martre.

Une fois arrivés au sommet de la montagne , ils s'essuient le front , ôtent leur habit, dé- nouent leur cravate , et s'asseoient tendrement sur une grosse pierre.

Puis, pendant trois bonnes petites heures, ils contemplent dans le lointain le dôme des In- valides et les toms Notre-Dame, et cela, cin- quante-deux fois par an, et toujours avec un nouveau plaisir.

2Zi

CHAPITRE IV.

l'on prouve que le flâneur un mortel

essentiellement vertueux.

n vérité je vous le dis , si les phi- lanthropes moder- nes tiennent véri- tablement h amé- liorer les hommes et à faire disparaî- tre de nos mœurs les assassinats, les vols, et toutes les autres malhonnêtetés que se permettent encore une fonle de gens , au lieu de prononcer de superbes discours et de fon- der des prix de poésie pour les auteurs qui chantent le mieux les louanges de la vertu et de la vaccine, il serait bien préférable d'en-

25 couragcr par tous les moyens le goût de la flâ- nerie dans toutes les classes de la société.

Je ne plaisante pas , mon opinion est res- pectable, car elle est consciencieuse, et il est bien certain que tout homme qui (lane est un mortel vertueux : pour adopter complète- ment ma manière de voir , il vous suffira de suivre mon raisonnement pendant quelques minutes et quelques lignes.

A quoi songe le plus souvent un homme qui flâne? A rien, me dites-vous. Cette ré- ponse est parfaitement juste, et en me la faisant vous me fournissez un argument vic- torieux pour défendre ma cause.

Du moment que notre flâneur ne songe à rien, comme vous venez de le reconnaître vous- même, il ne songe pas à mal, et par consé- quent dans ce brave, dans cet excellent homme qui s'avance vers vous les mains dans ses po- ches, et le nez au vent, vous pouvez être cer- tain de ne pas rencontrer un atroce gueux qui médite le ra[)t de votre tabatière, ou la soustrac- traction frauduleuse de votre foulard.

Non-seulement le flâneur n'a pas l'idée de commettre le plus petit délit, même fores- tier,— mais encore on peut parier qu'il n'a

26 pas commis dans tout le cours de son existence une faute qui puisse avoir fait ouvrir sur lui l'œil de la Justice et des sergents de ville

•27

Lin homme qui a des remords craint le so- leil et ne sort (|u'à la couleur blafarde du gaz. Et s'il est obligé de faire quelcjucs courses dans Paris avant le lever de la lune ou des ré- \erbères, il se glisse rapidement dans la foule, tellement il a toujours peur de se trouver face à face avec cet autre llaneur de profession nonnné sergent de ville, et qui a pour mission spéciale de voir des ligures suspectes dans tous les vi- sages qu'il rencontre.

La tète coiffée de ce tricorne municipal est pour tout coupable la tète de Méduse , elle est même plus dangereuse encore, en ce sens (ju'au lieu de pétrifier tout simplement l'infor- tuné, elle est ordinairement accompagnée d'une paire de bras vigoureux qui empoignent et qui ne lâchent pas.

Puis d'ailleurs, même en supposant qu'il pous- sât le macairisme jusqu'à ses dernières limites, et que pour lui des gendarmes ne fussent que des mortels tout simplement revêtus de culot- tes plus ou moins jaunes , quel j)laisir notre grand coupable pourrait-il trouver aux joies si pures de la llanerie.

Connnenl voulez-vous (ju'un hounne (juivient de connnettre un crime et (pii en médite un

nouveau passe une heure délicieuse à regarder les jeux innocents des enfants aux Tuileries,

puis, de là, passe soixante autres minu- tes non moins délicieuses et encore plus in- nocentes, — à regarder les ébats des petits pois- sons rouges du bassin des Tuileries.

C'est impossible , c'est de toute impossi- bilité; — ce qu'il faut à ces hommes abrutis.

29 ce sont des plaisirs plus abiutissaiits encore. Ils ne llanent qu'autour dos comptoirs des mar- chands de vins , en ayant soin de ne boire que de l'eau-dc-vie.

Le flâneur , bien loin d'être un voleur , est au contraire très-souvent un volé. Susse , Martinet et Aubertsont fort innocemment, du reste , les complices d'une foule d'industriels qui déjeunent du foulard et dînent de la ta- batière.

Il est très-difficile d'avoir les yeux à la fois sur une caricature et sur sa poche , à moins de partager et de ne consacrer qu'un œil à cha- cun de ces deux objets, mais c'est gênant et on a l'air d'être affecté d'un effroyable strabisme. On concentre donc toute son attention et tous ses organes visuels sur le même carreau , et, pendant qu'on est en train de rire d'une ca- ricature de Daumier représentant une des floue- ries de l'illustre Macaire , on est soi-même floué d'un foidard et de tous les accessoires qui pou- vent se trouver dans la même poche , y com- pris la bourse. Alors, pour peu que notre flâneur soit nerveux et enrhumé du cerveau , il entre dans une colère épouvantable contre les êtres assez pervertis , assez dénatures pour voler les

30 foulards de leurs semblables, et il souhait(

voir tomber sur la tOtc du coupable toutes les

■61 peines les plus sévères; l'échafaud lui sem- ble même une punition très-douce dans le premier moment.

C'est ce qui fait que par la suite le flâneur n'a jamais la moindre pitié des voleurs cjue l'on arrête, et si le coupable, donnant un croc en jambe h la Justice et au garde municipal, par- vient à prendre la fuite, notre flâneur est capable de se mettre à sa poursuite comme un vidgaire gendarme , tellement il a encore sur

I le cœur le foulard qu'il a de moins dans la

I poche.

Morale. Tout flâneur est un mortel ver- tueux.

32 CHAPITRE V.

Le musard.

^ ous prions instam- ment nos lecteurs de ne pas confon- dre dans la seule qualification de flâneur tous les gens qui sont in- dignes de séparer

"^^^^ ~--^^^=^ --= d'une si belle épi-

thète ; et nous appelons aussi sérieusement l'at- tention sur les diverses variétés suivantes de gens qui, au premier abord, ont aussi l'air de flâner, mais qui sont cependant i)rivés d'une ou plusieurs des qualités requises.

Le premier de ces faux flâneurs est \tinu- sard. Il y a une aussi grande différence entre le musard et le flâneur qu'entre l'honnne vo- race et le gastronome.

Le nuisaid mol trois heures pour se rendre de la poiie Saint-Denis à la porte Saint-Martin,

c'est bien, et an premier abord on peut même se laisser aller, donc c'est très-bien ,

mais le musard a dépensé d'une manière déplorable et quelquefois même stupide ces trois heures et ces trois cents |)as; pendant qu'il se livre à cet exercice monotone, ne vous figurez pas qu'il ait rien vu , rien remarqué, rien entendu ; ilamarciié durant soixante mi- nutes — et voilà.

Au lieu de s'arrêter devant les bouti(iues or- nées des plus jolies marciiandises et surtout des plus jolies marchandes , il sera resté trente- cinq minutes devant l'étabUssement du Pèrc- ia- Galette; et il aura regardé couper des morceaux de pâte ferme , en tenant

;randement ouverts les yeux et la bouche ;

mais du reste en ne songeante rien, ni aux jeunes grisettes , qui venaient faire leur petite emplette étouffante, ni à l'admirable sang- froid du père Coupe-Toujours, ni même à sa pâte ferme elle-même. Quand on a détaillé ainsi (piarante-cinq mètres (nouvelle mesure) de la susdite pâte ferme devant lui , il se dé- cide h continuer son chemin.

'i

3/i Puis loui à coup notre homme se laisse en- traîner par la foule qui se porte à dix pas plu;' loin , et il assiste à un duel entre deux rivaux d'amour ou d'os.

Si ce combat se prolonge pendant trente mi- nutes, il restera pendant trente minutes, non pas que ça l'intéresse vivement ou ((ue ça l'a- muse beaucoup; mais, comme le musard se trouve là, il y reste.

Il lui faudrait, pour se déplacer de nouveau, une force d'âme et des jambes qui lui man- quent absolument.

Si, par hasard, le musard assiste au draine |vil|)ilaiit d'un serin (|ue l'on cherche à faire rentrer dans sa cage, il en a pour tonte son après-midi; bien dill'érent en cela d'un flâ- neur intelligent qui n'accorderait au serin (piun petit quart d'heure, et qui encore con-

rerait au moins quatorze minutes de ce temps à lorgner toutes les jolies femmes attirées à la fenêtre par cet événement important.

Le musard ne rentre dans son logement qu'a- près que le serin lui en a donné l'exemple.

Le musard est le fléau des artistes, chez les- quels il a ses entrées. Dés qu'il arrive, il s'installe dans un fauteuil , à moins qu'il ne se couche SIM- le divan : et , se mettant à allumer

3(i

son cigare ou plulôt ses cigares, il lumc, cause et bâille pendant toute une journée ; toujours en vous disant de ne pas vous grner et de travailler comme s'il n'était pas là.

i- -1 -^i K

Ce qu'il y a de bon, ou, si vous aimez mieux, ce (pi' il \ a de mauvais , c'est que

le iiuisard apporte daiis; ses discours la inème déplorable inlirinité que dans ses flâneries : il reste toujours en chemin.

S'il entreprend de vous raconter une his- toire, vous i)ouvez être sûr qu'il n'arrivera même pas jus |u'an milieu : et quelquefois même il s'endort au moment votre curio- sité commençait à s'éveiller. Mais laissez-le dormir bien tran([uillement pour peu que vous teniez à son repos et au vôtre.

Le musard est du reste un homme assez heureux ; car, grâce à ses liabitudes lambines, il ne se marie presque jamais, attendu que toutes les fois qu'il a l'intention de demander une de- moiselle en mariage , il est toujours arrivé trois semaines après qu'on avait accordé la jeune demoiselle à un autre amoureux beaucoup plus leste.

Mais si par hasard il se marie, le musard n'en est pas moins heureux encore, attendu qu'il ne surprend jamais sa femme en conrevsa- sation anijliiisc et ri'iiniiicl/e, vu tou- ! jours qu'il ne rentre chez lui que deux bonnes ! petites heures après celle on l'attendait.

Il est arrivé cependant que le musard reste en place pluslong-temiisfpi'il ne le voudrait,

c'est lorsque, llaiiaut trop étourdimenl ou con- centrant trop vivement son attention vers un feu de cheminée ou sur un serin envolé, il s'enfonce jusqu'au jarret dans un trottoir orné nouvellement de bitume.

Mais, avec du temps, des soins, de la pa- tience, il parvient à s'en tirer sain et sauf, moins les bottes.

CHAPIIHi: VI.

Le badaud étranger.

ne grande igno- lance en liistoiie iialurelle est cause (|ue quelquefois encore on accorde 1 qualification de llaneur à des nior- lels, très-vertueux tlu reste, mais qui ne sont que de simples badauds, nés natifs de Carpentras, de Londres, de Quimper-Corentin, de Saint-Pétersbourg.

Nous voulons parler du voyageur qui a fait cin([uante,cent ou trois cents lieues pour venir visiter une fois dans sa vie les monuments de Paris , et qui, en conséquence, fait pendant huit jours un métier qui éreinterait le cheval de ca- biiolet le plus fortement constitué.

Depuis le lever du soleil jusqu'à celui de la

lune, notre gaillard court dans tous les coins de Paris avec la carte sous le bras, ou au moins avec un mouchoir lithographie dans sa poche, et à chaque minute il applique sa carte ou son mou- choir sur la première muraille qu'il rencontre, afin de s'orienter dans ce labyrinthe , composé dequinzeou dix-huit centsrues, et l'infortuné patauge complètement pour peu qu'il veuille avoir recours à l'aide des omnibus. Parti avec l'intention d'aller admirer la colonne Vendôme^ il se trouve transporté devant la colonne de Juil- let , et par conséquent, il trouve que le \a/)o- tcon, qui a ainsi le pied en l'air et la trompclie à la bouche, est bien peu ressemblant au Napo- léon de ses rêves et de ses lithographies ; sorti de chez lui dans la ferme intention d'aller admi- rer la coupole du Panthéon , il admire de con- fiance celle des Invalides !

iMais après tout, c'est un petit malheur, car le badaud étranger s'est dit, le matin, en se levant: ,\ujourd'hui je verrai onze monuments! Pourvu que le soir en additionnant il trouve bien le compte de ses onze monuments, il pense qu'il n'a pas perdu sa journée et il s'endort avec une conscience aussi satisfaite que celle de Titus lui-même.

/il

A peiiK' arrivé devant son nioiunnonl , le badaud étranger prend à peine le temps de lever les yenx sur ses colonnes ou antres ac- cessoires , attendu que sur les cinq minutes octro\ées h ce dit monument, il en accorde quatre à la lecture de la description qui en est faite dans ]c Guide du voi/cuieur. Puis, quand il a terminé sa lecture , il se dit en lui- même : des colonnes, des cornic'ies, des entablements. A h ! bon, je connais ça, j' en ai déjà vu tous ces jours-ci! Et il se di- rige vers un autre monument devant lequel il lira son Guide du roraqeur, et ainsi de suite jnsciu'au soir.

Par exemple, dans les musées, le badaud étranger ne court pas trop de risque de se trom- per, à moins qu'il ne cherche à s'expliquer l'ex- position des tableaux à l'aide d'un livret de l'année précédente, mais c'est assez rare, et il faut être tombé sur un marchand trés-floueur,

et ils le sont presque tous avec les étrangers porteurs d'un nez candide.

Alors l'infortuné attrape une migraine atroce en cherchant à trouver le combat de Trafal- (jar au milieu d'une grande forêt verl-épinard,

ou le portrait de madame la comtesse de

B... dans un cadre enveloppant les attraits d'un capitaine de voltigeurs de la garde nationale.

UMM^:.

il est d'autres badauds étrangers qui, moins superficiels que leurs confrères, ne sont satis- faits que lorsqu'ils ont visité à fond tous les

I

! moiuiiiieiils. Ils ne se coiitcnlt'iit pas de l'cMérieiir, ils cnlreiit toujours, ilsroinptent toiitos les cliapcllos de Saiiit-Siilpice, toutes les marches de l'escalier de la colonne Ven- dôme , et dans lein* manie investigatrice ils demandent même à (|ui l'on doit s'adresser pour >isiter l'intérieur de l'obéliscpie.

Tour peu qu'un nnstificateur indique M. V

tout, riiifoitunt' directeur des monuments pu- blics de France se voit assailli d'une de ces lettres qui font son désespoir depuis dix-huit mois. Il a même subir depuis peu de temps une nouvelle et eiïro} able recrudescence dans sa correspondance; car probablement que c'est aussi à lui que l'on s'adresse pour obtenir l'au- torisation de visiter l'intérieur du puits de Gre- nelle !

Parlez-moi au moins du Jardin-des-Planles,

tout se visite sans la moindre formalité ,

sans avoir môme besoin de saluer le vété- lan de faction à la porte d'entrée.

Alors le badaud étranger consomme tout à son aise les innombral)les curiosités du lieu. Il compte avec soin tous les cailloux de la galerie minéralogique, toutes les herbes plus ou moins exotiques du cabinet d'histoire naturelle , il calcule combien on pourrait faire de bou- tons de chemises avec les défenses de l'élé- phant.

Par exemple, au Jardin dit des Plantes , par ce qu'on y cultive beaucoup d'animaux, il est dangereux d'être distrait en même temps (|ue badaud ; car les éléphants , malgré leur in- telligence, ont quekpiefois l'étourderie de pren-

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dre le bras d'un visiteur pour lui simple objet de divertissement.

CHAPITRE Vil

Le batteur de pavé.

royez-vous que b flânerie n'appar- tienne qu'aux fonctionnaires pu- blics, aux rentiers, aux avocats sans cause, aux tour- lourous , en un mot aux hommes de loisir ? Pensez- vous qu'elle soit pour tout le monde, comme pour vous , un sujet de distraction, un moyen de dépenser le temps? ce serait méconnaître le caractère industriel de votre siècle, faire injure à l'intelligence de vos concitoyens.

Certes! dans un pays avancé comme le nôtre, dans une ville l'eau, l'air, le feu, la terre, l'amour, l'honneur, l'esprit et la matière seven-

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dent, se louent et s'exploitent de toutes façons, la flânerie devait s'utiliser d'une manière quel- conque, fournir à quelques-uns le moyen de le- er un impôt sur beaucoup d'autres, but philo- sophique ^ ers lequel tendent toujours les progrès de la civilisation.

De cette idée profonde d'économie politique est le batteur de pavé , famille variée dans ses espèces , classe riche en besoins , et surtout respectable. . . par le nombre ; car elle se compose à Paris de ces 30,000 consommateurs qui se lè- vent sans savoir conmient ils dîneront, dans quel lieu ils coucheront. Problème qui, suivant le calcul des probabilités, a jwur solution :

Dîné , aux dépens du prochain.

Couché, idem.

Mais qui, dans les joiu's néfastes, se résout ordinairement ainsi :

Dîné, zéro.

Couché, au violon.

Vous dire toutes les nuances de l'espèce sérail trop long, et demanderait plus de travail (lue nous n'en voulons mettre , moi à écrire et vous à hre cet opuscule ; choisissons seulement quel- ques-uns des plus remarquables.

Ot ami intime que vous ne coimaissez pas.

/.s

mais que vous rencontrerez dans tous les lieuv l)ul)lics, qui vous sourit toujours, vous salue (le la main, et finit, ou plutôt commence un jour par vous emprunter vingt francs : c'est un bat- teur de pavé !

Cet homme qui entre dans une boutique en courant, d'un air très-alTairé , et qui dit au bonnetier, au mercier, dont il vient de lire le nom sur l'enseigne : « Mon Dieu! monsieur Barnabe , je suis votre voisin ; je demeure là, au 26. Je viens de faire un petit achat ; lime manque cinq francs. Je ne voudrais pas remon- ter chez moi ; voulez-vous me faire le plaisir de me les prêter : batteur de pavé !

Ce monsieur au maintien décent, à l'air vé- nérable , qui se présente orné d'un ruban rouge et d'une tète chauve, collecteur officieux d'aumônes pour les victimes de l'inondation, de l'incendie, ou de tout autre malheur à la mode; c'est un batteur dépavé, vos aumônes passeront de ses mains dans celles d'un croupier de tripot.

Ce Polonais de Strasbourg, cet Espagnol de Pézenas, ce Napolitain de Turin, tous ces no- bles étrangers de contrebande qui font appel à vos libéralités : batteurs de pavé.

Et ce pauvre diable , crasseux, râpé, délabré, iqui paicourl d'un air inquiet les alliclies de res- taurant :

DÎNERS A 17 SOUS. Trois plats, un carafon de vin et un dessert.

DÎNERS A 23 SOUS.

Quatre plats au choix , une demi-bouteille de vin de >làcon , dessert et pain à discrétion.

U

I

50

Et qui, tout bien considéré, allentlu qu'il lui manque pour dîner 17 sous ou même 23 sous, se met à les chercher dans la poche des passants, soit devant l'éialage des marchands d'estampes, soit dans la foule du Musée , devant la baraque de Polichinelle ou dans toute autre réunion de badauds. Jùicore im batteur de pavé. C'est ce- lui-ci qu'on nomme le lireiir.

Nous avons de plus le honjouricn, qui bat le pavé à huit heures du matin, parcourt les maisons, entre i)artout il |)eut entrer, prend tout ce qu'il peut prendre, et se retire en vous souhaitant le bonjour et en vous demandant pardon de vous avoir réveillé.

Puis, y américain , qui flâne à toute heure pour rencontrer une sacoche sur le dos d'un jobard , auquel il demande en baragouinant l'échange de deux écus contre une guinée d'or , écliange que le jobaid accepte , soit par cupi- dité, soit par bêtise, et dans lequel il reçoit, pour son bel et bon argent, du plomb, des sous dorés, ou bien des jetons en rouleau.

Enfin , dans la même catégorie , se place le flâneur nocturne , modeste fleur des grandes villes, qui ne peut supporte)- ni la lumière du soleil ni celle des réverbères, et ne s'épanouit

f)l

(liii' dans roinbie des riu-s solitaires, ou, per- mettez-moi ce calembour botanique , dans les serres du piélet de police.

Mais le batteur de pa\é par excellence, c'est ce philosophe praticien cjui vit gaiement au jour le jour, sans luxe, sans gène, sans préten- tions à la fortune, dégagé de tous préjugés, s'accomniodant de tout ce que rejettent les au- tres, mangeant peu, buvant beaucoup, et pou- vant toujours s'écrier comme Hias :

Omilia mecum porlo ! !• n un mot , le flâneur prolélairc , le roi du pavé , le cliiiïonnier français.

CIIAIMTRE VIII.

Lo parfait Flâneur.

omios jambes , bonnes oreilles, el bons yeux, tels sont les princi- paux avanlages physiques dont doit jouir tout Français vérita- blement digne de faire partie du chd) des flâneurs ([uand on en éta- blira un , ce qui ne peut pas

arder. Il faut de i)oiincs jambes pour arpenter tou-

es les promenades , tous les trottoirs , tous les

([liais, toutes les places , tous les boulevards de Paris; de bonnes oreilles pour ne rien perdre de toutes les remarques spirituelles ou plaisam- ment stupides que l'on entend dans tous les groupes qui se rassemblent d'ordinaire dans les lieux publics; enlin, il faut surtout de bo:;s yeux pour apercevoir toutes les jolies marchan- des, tous les visages grotesques , toutes les afii- ches baroques , et toutes les jambes fines que l'on rencontre dans le cours de ses flâneries.

Le paletot semble avoir été inventé exprès pour le flâneur; grâce à ce vêtement commode, mais taillé sur la forme d'un sac, le flâneur peut mettre tranquiUement ses deux mains dans ses poches et se faufiler dans toutes les foules les plus épaisses et les moins bien composées , sans craindre qu'un voisin curieux ne vienne sonder les mystères de ces mêmes poches. —Le paletot a fait diminuer, d'une manière prodigieuse, les vols à la tire:, vous n'êtes pas sans savoir qu'on a baptisé de ce nom l'espèce d'industrie qui con- \ siste à tirer de toutes les poches des foulards , des tabatières, des lorgnettes, etc., etc. Il est vrai que si le paletot a détruit en grande partie te vol à la tire , en revanche il a fait augmen- ter prodigieusement le vol orné d'assassinat :

les indiistiirls sf soiil mis ()l)ii^és de dcpoiiilkT (•omph'tonicnt le llanciir nocUiriU' depuis (luils ne peuvent plus interroger tout simplement ses poches: et, comme ils conuuencent l'opération en étranglant ou en assommant le sujet choisi , on voit (jue si le paletot a ses charmes , il a aussi ses inconvénients.

Il n'y a peut-être que trois classes de la so- ciété chez qui l'on trouve des cœurs et des jam- bes véritablement dignes d'appartenir à un flâ- neur. — Ces trois classes se composent des poè- tes, des artistes, et des petits clercs d'avoués.

Quand nous disons portes , nous ne préten- dons pas exprimer par qu'il faut avoir rimé des poèmes épiques, ondes bouquets à Cla- ris, — il faut avoir de la poésie , du cœur, chose plus rare encore et cjui ne se trouve pas dans le Dictionnaire des rimes et enfin de l'i- magination,

Le flâneur conipose tout un loman, rien que sur la simple rencontre en omnibus d'une pe- tite dame au voile baissé, puis l'instant d'après il se livre aux plus hautes considérationspliiloso- phiques, sociales et humanitaires, en admirant tous les prodiges ([ne l'éducation peut obtenir de

56 simples hannetons qui se battent en duelconnnc de véritables Saint-Georges.

Les artistes sont d'autant plus flâneurs, (pie pour eux la promenade est un véritable besoin , car lorsqu'on a passé cinq heures à son bu- reau ou à son chevalet, on éprouve un agrément d'autant plus grand à faire l'école Buissonnière, après le travail , ce que du reste on se permet ^iuelquefois même avant le travail.

l'uis, les artistes , grâce aux entrées dont ils jonissent, se livrent à desilaneries toutes parti- culièresdansles théâtres, soit en allant lorgner toute la salle de l'entrée de l'orchestre,

soit en faisant des cancans dans les coulisses avec touslesjeunes/îafsde l'endroit, et Dieu

sait si les coulisses sont l'asile des rats cam niers, siirtonl h l'Opéra.

Puis à onze liemcs, au lieu d'aller se coucher couinie un vulgaire garde national , le llaneur va encore faire une petite station dans un des nom- breux Dif^/ià- l'on fume du tabac oriental du Gros-Caillou.

Puis enfin même , quand il doit, le llaneur est encore parfaitement heureux ! Car au lieu de rè\er fortune , hatailic, chien ou cfiat , il rêve. .. (pi'il contemple la marche du bœuf "ras.

V m

la descente de la Courtille , une procession quelconque: enfin il rêve... qu'il flâne I

()0

CllAPlTRI^ IX.

Le Flâneur militaire.

1 eût été plus logi- que de commencer ce peiit livre par le chapitre du Fta- )icur militaire , puisqu'il résulte de toutes les statisti- (pies que, sur un ■hiffre de ZiOO,OOi) hommes, l'armée française fournit 393,000 des plus intrépides flâneurs, et peut-être faudrait-il encore rétablir le chiffre retranché sous prétexte qu'il figure le nombre des malades; car l'hôpi- tal est plus souvent un lieu de refuge contre la corvée, un moyen d'obtenir la soupe au beurre,

(il

im palais de (k'Iiccs ciiliii cl de llaiierie parlicii- lière, (|u'iiii asile pour la véritable soiiH'raiice.

>e militaire est incontestablement, par-dessus tout et plus que tous, nnisard, badaud, gobe- inoucbe. et cela ne doit surprendre personne ! (Kie voulez-vous que ces 600,000 pauvres dia- bles fassent dans une jiaix profonde? A moins (le s'entre-dévorer connue les brochets d'un étang ou d'occir lespékins, il faut bien que des gens dont le métier est de tuer tuent au moins le temps, le seul ennemi d'ailleurs qui puisse iri()m])her du guerrier frrrrrrrançais. Aussi ce nalheureux vieux en voit-il de cruelles avec de els gaillards ; cavalerie, infanterie, artillerie, toutes les armes, tous les grades, depuis le ma- réchal de lYance jusqu'au simple Jean-Jean, tout ce monde l'attaque à sa manière et lui fait une guerre acharnée.

Le maréchal, obèse et goutteux, se retranche lans ses titres, ou attend l'ennemi dans son fauteuil.

Le général, plus ingandje, le poursuit dans les antichambres de la cour et surtout dans les bureaux du ministère.

Le colonel l'aborde à la bayonnette dans le bois de Uoulogne, dans les cercles, dans les

foyers des théâtres royaux et le pourcliassc jus (jue dans les ruelles des lionnes à la mode.

Quant aux chefs d'escadron ou de bataillon, ils l'assiègent chez le restaurateur, à taiiled'hùte, dans les banquets, les repas de corps, et font main basse sui- les ravitaillements ; la gastio- noniie est le divertissement privilégié des gros- ses épaulettes aussi bien que de la haute fi- nance. >î 'est-il pas de bonne stratégie d'enlever le plus de vivants possible à l'ennemi.

(Capitaine, lieutenant et sous-lieutenant lui li- vrent un rude assaut à grands coups de pipes, de cartes, de dominos et de queues de billard , et autres projectiles de même matière égale- ment funeste à la théorie, l'évangile du par- fait troupier, sans préjudice bien entendu dehi cour assidue que le corps d'officiers fait régu- lièrement h la limonadière la plus jolie et la plus voisine du quartier, de façon h concilier l'amour et la discipline.

A l'aide d'un carottage (1) habilement e\-

(I) Le carottage est une sorte d'impôt indirect qui porte sur le père, la mère, le frère, la sœur ou sur tout autre parent affectionné du soldat, il porte encore sur les fournisseurs de la compagnie et sur la naïvelc (lu conscrit qui débarque au régiment.

ploité , le sous-oflicier, à l'exemple de ses supé- rieurs, s'exerce bravement au maniement des mC-mes armes.

Mais le vrai tlaneur, c'est le bon, le pur lour- lourou.

Hàlous-nous de le dire à sa louange, le |)iou- piou est IcsMiiboiodcla plus parfaite innocence.

le modèle de la simplicité du premier âge ; so- bre comme le modeste compagnon de son en- fance, dont le braiement ravive ses souvenirs du pays et de la payse ; patient comme le cha- meau qui l'attend sur les sables de l'Afrique ; chaste comme un saint de bois ; rangé comme ime demoiselle qui l'est encore (rangée). Ce n'est pas lui qu'on voit dépenser ses forces en plaisirs scandaleux, jeter son or aux courtisa- nes, aux croupiers de la roulette, ou bien, tom- bant dans un excès opposé, empiler ses écus, thésauriser, tarir les sources de la fortune pu- blique. Non, non , ce n'est pas lui qui gaspille les finances du pays, et, si la patrie, toujours grande et généreuse envers ceux qui la servent, lui fait la munificence d'un sou net par jour , ce sou il le rend noblement à la circulation, et entretient par une sage répartition de son re- venu fe richesse dans toutes les branches de l'industrie et des ai'ts. C'est ainsi qu'il en- courage l'industrie par l'achat d'une |)ipe de terre ; l'agriculture, par une consommation mo- dérée de pommes de terre frites; et les arts, par la libéralité d'une fraction de ses cinq centimes en faveur de cet homme qui, à force d'études pré- paratoires, est arrivé à avaler des lames de sa-

G5

bre, (lesinancliosdc nitonii ot di-s hraiic^inls (h ralècli»'.

Mais il espère bien, dans son amour éclairé lu progrès, que l'art ne s'arrêtera pas loujoui-s

5

à la puiguce du sabre et à ravant-traiii de l;i voiture. Pénétré d'ailleurs de cette vérité (dont l'intention prouve à quel point il j)ossède le sen- timent de l'art) que les applaudissements de l;i multitude, les bravos de la foule, ce que le saltimbanque appelle l'honneur de votiu: PRÉSENCE, est un stimulant bien préférable au vil métal, le piou-pioii accorde l'honneur (U sa présence à tout ce que Paris compte de sa vants, les physiciens des Champs-Elysées , les marchands de vulnéraire, les lavatérieus qui disent la bonne aventure, etc. ; à tous 1(^ praticiens célèbres, les extirpeurs de cors, dt durillons, de dents et autres difîorn)ités ; ii tous les arts et à tous les ai'tistes, la danse di corde, l'assaut de savate. Polichinelle, la lan- terne magique, le singe balayeur, l'àne savant, l'escamoteur, et surtout Bobèche, le grand Bo- bèche, ce roi de la parade, mort il y a plus di vingt ans au moins, dont le nom passera (h queue rouge en queue rouge jusqu'à la posté- rité la plus enfoncée.

Le piou-piou encourage encore, et toujours par Vhonneur de sa présence , les études chimiques du dégraisseur en plein vent, celles du marchand d'allumettes allemandes

()7

LMiliii , mais l'artiste dont il préfère le talent, artiste dont la grâce, la sonplessc et les po- ^es voluptueuses enivrent tous ses sens, c'est... a femme forte.

Cette femme incom|)aral)le, la gloire de son >e\e, ([ui a fait, ainsi (pi'elle le dit avec simpli- ité, l'admiration des puissances étrangères el :1e notre» Saint-Père le jiape.

68

CIIAPITKE X.

Le gamin de Paris.

l'iciir, go , pares-

amilicr,

guenard

seux , gourmand

aiman lie spectacle

comme un I{o-

maiii, et par-des

sus tout, flâneur

|at

oh ! flâneur avec' ( |,j:"âti amour! Telles sont les qualités distinciives du gamin de Paris. C'est! sous ce dernier aspect , principalement , que] nous le considérons ici.

Vous comprenez que le gamin , comme nousr'' l'entendons, c'est i'ap|)renti, l'enfant sans ins-

(iy

Iruction , sans Umuic et sans aigeiil , (jui, ou- bliant tout à fait la commission dont il est chargé, vagne dans les rues, flanc aux devantnres des bouti(|ues, fait des grimaces aux marchandes, des niches aux passants, aigrit le caractère des chiens et parcourt gaiement la capitale assis sur le marchepied postérieur des voitures. C'est l'amalenr passionné du pruneau, du raisin sec, de la mélasse, de la cassonnade , du raisiné et de toutes ces succulentes choses dont l'épicier cupide ne veut absolument se dessaisir que pour du numéraire.

Or, nous l'avons dit , le uumérairc est le côté faible du gamin : c'est à lui surtout qu'on peut a|)])li(pier le mot d'un des plus célèbres philosophes de l'antiquité sur le gamiu d'A- ;bènes. Il est friand , mais en revanche il est pauvre maxime peu récréative pour lui ; aeurensement il se trouve dans la nature ane loi de pondération en vertu de laquelle es parties faibles tendent toujours à s'équili- arer avec les parties fortes : l'esprit et la ruse nennent remplacer le numéraire, et ré(iuilibre Is'établit.

Ainsi, le gamin, alléché par l'odeur tentatrice lu chocolat, de la réglisse ou de la confiture ,

70 passe-t-il devant l'étalage d'un de ces iieureiix de la terre ?

Tous les rayons de son intelligence convcr-i gent sur un seul point , posséder une partie quelconque de ces richesses. Il laissera , par exemple, tomber son pain dans la gelée de^ groseille et s'excusera de V accident; ou bien il marchandera les pruneaux , les ligues ^

71 k sucre, les noiselles, goùlaiil, à chaque qucs- dou de prix ou de qualité, l'objet qu'il uiar- cliaude , et finissant par renvoyer son achat à un jour indéterminé.

(Cependant, si l'épicier , (|ui vit avec le ga- min dans la perpétuelle position d'un bœuf ai- guillonné par une mouche, s'oppose à cet exer- cice gratuit des fonctions de dégustateur, ou bien , si les tendances digeslivcs du gamin le portent vers la galette, car il n'est pas exclu- sif et sait apprécier la valeur des farineux, s'il éprouve un vague désir de fîan, ou de tout autre comestible qu'il n'est pas possible de goûter sans l'acheter , oh ! alors, les idées de paresse sont repoussées avec perte , chassées honteusement: notre gamin devient travail- leur travailleur accidentel , comme le la-

zaroni napolitain.

Descendez- vous de cheval , il s'offre pour te- nir la bride en votre absence. Votre voilure s'arrète-t-elle , il accourt , met le pan de sa veste sur la roue boueuse et vous aide à fran- chir le marchepied; il porte le pot de fleur que vous venez d'acheter pour eKc; il guide l'étranger qui cherche la poste aux lettres , son Jiôtel , la Bourse , ou tout autre établissement

public ; êles-vous retenu par un orage sous

^-^ -^

)a porte coclière , il court chercher pour vous

iino voilure; onfiii , il fera tout pour ohteuir de ses ronciloyens les cinquante ceutimcs nécessaires à sou houlieur , après quoi il rede- vieut, uon le lazaroui italien , dormeur et uou- clialaut , mais le lazaroui frauçais doul nous avons dit le caractère eu conuueuçaut le cha- pitre.

Il ne dort pas, il sepromèue toujours, fait des poires sur les murailles, joue des claciuettes, et finit sa journée comme il l'a commencée, en flânant.

Le soir venu, c'est chez madame Saqui, c'est à l'Ambigu, à la Gaieté ou au Cirque-Olympi- que que vous retrouverez le gamin, toujours rieur, toujours goguenard, interpellant les ac-

Ih

leurs, leur disant de parler plus bas, de parler plus haut, appelant TitiaXXm demandant d'un bout de la salle à l'autre s'il a tout mangé la galette, réclamant à grands cris l'expulsion des (icondarmes (gendarmes), s'emparant de la police de la salle en intimant aux femmes d'en- lever leurs chrdes accrochés h la balustrade, en ordonnant aux hommes défaire face au par- terre. Là il trône, il est maître souverain, et celui qui ne l'aurait pas vu aux théâtres du boulevard ne connaîtrait certainement i)as le véritable gamin de Paris.

Les accidents, les exécutions, les émeutes, les fêtes publiques, nationales, royales ou n'im- porte quoi, sont encore ses points de réunion : il grimpe aux mâts de cocagne, sur les arbres, sur les voitures, sur les colonnes de réverbè- res; il grimpe partout, se fourre partout, voit tout, et, comme nous le disions, il aime telle- ment les spectacles de quelque genre qu'ils soient, que, pour jouir de cette vue , il oublie- rait tout dans ces jours mémorables, tout, peut- être même la galette et le raisiné.

CIÏAPITHK \I.

Les petits bonheurs de la flânerie.

^xLx^

trottoirs, asiles de la boue et clos flâ- neurs, je vous sa- lue ; tous les mo- ments les plus heureux de ma jeunesse très- blonde se sont écoulés sur vos dalles, votre granit, votre bitume, ou votre as- |)halte !

Car j'ai long-temps flâné, et, je l'espère, je flânerai long-temps encore.

Aussi, puis-je vous parler savamment des pe- tit bonheurs spécialement réservés à cette pro- fession.

Règle générale, ne flânez jamais passé minuit. lue journée est assez longue quand on sait bien l'employer, et rien ne vaut la clarté du so-

76 leil pour observer les mille détails qui se pré- sentent à chaque pas sous les yeux du flâneur. Ce n'est pas le soir, à la vacillante lueur des ré- verbères, que l'on peut lire toutes ces délicieu- ses affiches, rouges, jaunes, blanches, vertes, coquelicotes , qui tapissent toutes les murailles de Paris; les dîners complets , à 25 sous, à 18 sous, à 13 sous même, qui se pavanent à côté de la Pommade des C hameaux, ce (jui ne veut pas dire précisément que ces quadru- l)èdes se servent de ce genre de cosmétique ; on la nomme Pommade des Chaincaux parce ({u'elle est faite avec de la graisse de mouton et ((u'elle est à l'usage des dindons. C'est clair. Du reste, ce précieux cosmétique fait pous- ser énormément les cheveux dans la c|uatrième pagedesjournaux! Plus loin l'affiche du docteur Charles Albert coudoie l'affiche du bouillon- aveuffle-holtandais. Ce bouillon a pom- nom de famille Hollandais , parce qu'il est fabriqué à Paris, et il a été baptisé du sobriquet (ïavcuqle, parce que, même à l'aide des verres les plus grossissants, les naturalistes n'ont ja- mais pu découvrir, sur la surface de ce bouil- lon, le plus petit œil. Malheureusement, si ce Hollandais est aveugle, il n'est pas toujours

parfaitciuont chauve. Ici ou voit l'annoucc du Racalunit des Arabes, bou pour le uial de dculs; plus loiu ou aperçoit le Paraguai/- RoHX , déjeuuer habituel des sultanes orienta- les ! Euhu quand il arrive devant une muraille couverte d'affiches, le flâneur en a pour deux bonnes petites heures, c'est à rendre jaloux le sultan Schaltabaham qui, pour se di\ertir, est obligé de regarder pendant trois heures les mêmes petits poissons rouges.

Quekfues individus, flâneurs incomplets par conséquent, dédaignent les petites joies de l'af- liche parisienne , et reportent toutes leurs sym- pathies sur les carreaux des magasins de modes et de hngeries. Nous pardoimons l'alTection pour la marchande de modes, tous les goûts sont dans la nature, mais nous pensons qu'il ne faut pas pousser cette alTection jusqu'au fana- tisme. — Nous ne voulons pas répéter tous les cancans que l'on débite dans la société sur le corps des modistes ; on va jusqu'à dire que ces demoiselles se permettent quelquefois d'avoir huit à dix amants par tète. On est si mé- chant ! Il ne faut jamais croire que la moi- tié de ce qu'on dit.

Le flâneur a donc parfaitement le droit de

7 s

suivre de l'œil la jeune modiste qui, sous le nom de Trottin, va porter à domicile de char- mants petits chapeauv et des amours de petites capotes ; mais il faut toujours ) mettre de la réserve et de la discrétion.

i> 'imitez pas ces grossiers personnages qui suivent les femmes d'une manière eiïrontée ; une

7f) pareille conduite est justiciable de toutes le > hotte;, vraiment frirrrcinraises. Au lien de marcher sur les talons de la vertu, étahlissez- vons le délenscnr, le protecteur de cette même Aertu elVrayée, qui vient se réfugier auprc's de vous, comme une pauvre colomhe palpitante, pour échapper aux poursuites de ces hommes ignobles (jui insultent toutes les femmes.

Depuis quelque temps surtout , bon nombre de vieux roquentins se mêlent de poursuivre ainsi de leurs propos, plus qu'anacréonti- (pies, et cela en plein jour, les jeunes femmes qui se hasardent dans les rues de Paris sans ca- valiers. — La vieillesse a droit à une foule d'é- gards ; mais c'est f[uand elle donne l'exemple de toutes les vertus, et qu'elle ne cache pas ses cheveux blancs sous une perruque blonde, qui la plupart du temps est lousse.

La vieillesse flâneuse doit avoir des plaisirs plus vertueux ; elle fait bien mieux de parcou- rir tranquillement tous les quais pour boulever- ser l'étalage de tous les marchands de bouquins.

lu des grands jjlaisirs du flâneur c'est d'ap- prendre gratis une foule de nouvelles vraiment extraordinaires, et comme n'en donnent pas les gazettes les plus célèbres |)ar leurs Ciuiuvds.

ll

Il n'est jws (le journaliste qui ne soit éclipse en ce genre par les crieurs et surtout par les crieuses de nouvelles.

On sait que ce n'est pas vrai; mais ça fait toujours plaisir , absolument comme quand on lit un journal.

il n'est pas jusqu'à une flânerie dans la triste salle des Pas-Perdus, au Palais-de-.Iuslice, qui n'ait son côté amusant, siu'tout si on n'a pas le moindie procès.

81 D'abord on a l'agrément de voir une foule de lèles d'aNocals toutes plus baro(|ues les unes(iuc les autres; puis on a ra<i;rénient non nioin grand de se féliciter de n'avoir rien à démêler avec les gens de justice : vous voyez donc bien qu'il a deux plaisirs pour un.

lùilin nous n'en finirions pas si nous voulions

H'2

éiiumércr tous les petits l)onheuis de la llanerie parisienne! Le flâneur est le seul homme heureux qui existe sur la terre, on n'a pas en core cité l'exemple d'un seul flâneur f[ui se soit suicidé ; et si jamais notre homme arrive auprès d'un puits, eût-il même pour l'instant quelques idées un peu tristes, au lieu de songer à se pré cipiter la tète la première dans ce gouffre béant et humide, il se console tout à coup en crachant dans l'eau et en faisant des ronds pendant une heure, une heure et quart.

O flânerie, flânerie, ne trouveras-tu donc ja mais un poète pour te chanter dignement !

^>^

,s:v

CIIAPIIUK XII,

Les petits malheurs de la flânerie.

onsieur, vous ave/ déjà pu remar- quer, avec le cé- lèbre liilboquet , ((ue tout n'est [)as rose dans la vie, et que tout n'est pas jasmin i dans l'existence. Car sans compter la fièvre , les rhumatismes, es billets de garde , la colique et les concerts l'amaleurs, l'Iiomme est exposé à une foule de )etits malheurs (jui, à vrai dire, ne sont que des- :oups d'épingle , mais qui , renouvelés chaque our et multipliés à l'infini , deviennent encore )lus désagréables (|u'un simple et bon coup de poignard ( si toutefois il y a des coups de poi- gnard qui soient bons !).

8/1

C'est surtout le Parisien qui est exposé à une énorme quantité de petits malheurs dont l'exis- tence n'est même pas soupçonnée en province. Aussi n'hésitons-nous pas à proclamer bien haut que l'homme qui habite la province est beaucoup plus heureux que le mortel qui ha- bite Paris, pour peu qu'il aime la province et qu'il déteste Paris.

On pourrait faire un gros volume avec les pe- tits accidents de la vie parisienne , mais ras- surez-vous, nous ne le ferons pas, nous in- diquerons seulement les principales catastrophes qui viennent émailler l'existence des flâneurs de la capitale.

La plus vulgaire, mais non pas la moins poi- gnante de ces émotions , est celle qu'éprouve l'homme qui , sorti de chez lui pour aller dî- ner en ville , a revêtu son Elbeuf le plus soyeux, son chapeau le plus lustré et ses bottes les plus vernies, ou qui pousse quelques soupirs sous les fenêtres d'une beauté à l'œil noir ou bleu , sui- vant que l'on affectionne l'une ou l'autre ne ces nuances.

Vous n'êtes plus qu'à deux pas de la maison du potage ou de la beauté, vous avez sau- tillé délicatement comme un moineau franc sur

«5 tons les pavés les plus larges , votre pantalon n'a pas aUrapé un atonie de boue, vous poniriez mirer votre menton dans le miroir de vos bottes , et faire ainsi admirablement vo-

s|tre barbe, sans que la position fût gênante, et le zéphyr lui-même n'a pas dérangé la plus légère boucle de votre chevelure , ou de votre toupet, si vous êtes affligé de cette infir- mité , bref vous êtes enchanté de votre te- nue et vous regrettez de n'avoir pas devant vous une innnensc glace de ^ enisc pour vous admi- rer des pieds h la tète, lorscjuc tout à coup la roue d'un cabriolet, de Lion parisien que vous étiez à l'instant, vous transforme subitement en un tigre du Bengale.

^'ous maudissez les dieux , les cieux , et surtout celui du cabriolet.

A ous êtes altéré de vengeance , vous vou- driez boire du sang, beaucoup de sang , vous éclipsez Robespierre et Néron , vous voudriez pouvoir trancher d'un seul coup les têtes de tous les cochers de cabriolet de Paris , puis, revenant h des sentiments plus humains, vous finissez par donner trente sous au premier co- cher de cabriolet que vous rencontrez pour

iiiJ qu'il vous reconduise tout simplement chez

S(i vous, de crainte d'être ramené de force an Jardin -des -Plantes et des tigres par un ser- gent de ville, commettant une méprise en his- toire naturelle, méprise très-pardonnable du reste !

1

In aiilri' niallu-ur non moins déplorable i-t encore pins hnmide est réservé au flaneiu" qni a la faiblesse de croire aux oninibns les jours de pluie , et qui , surpris par une averse dilu- vienne, se mettrait à courir après cette arche de i\oé à si\ sous.

Pour peu qu'on ait la \ue basse ou que Je conducteur soit distrait, on se livre à une course

88 au clocher ou j)lutôt à une course à l'omuibus, jusqu'au lieu de la station , car jamais, au grand jamais, on ne parvient à trouver une place dans un omnibus quand on en a besoin.

Ce qu'on a de mieux h faire , c'est de prendre un fiacre , c'est même ce qu'il y a de plus : économique , car sans cela on dépense le len- demain et les jours suivants pour six francs de l'églisse.

Les Forts sont aussi un sujet perpétuel de soupirs et de coups de brosse pour les badauds parisiens , nous ne parlons pas politique, nous parlons seulement des forts de la halle au blé et de la halle au charbon.

Ces gaillards , fiers des avantages que leur a prodigués la nature, marchent toujours dans leur force et dans leur liberté, ce qui fait qu'ils prennent la liberté d'occuper tout le trottoir. Le flâneur qui a la folle prétention de vou- loir se faufiler entre deux de ces hommes de farine et de charbon , est immanquablement aplati comme une limande prête h être mise sur le gril , et pour que rien n'y manque , il est même saupoudré de la couche de farine obligée.

C'est désagréable sans doute , mais mieux

\am oiicorc se taire ([ue de niunnuror trop liiiiit, car, après avoir attrapé du hiaiir, on poiir- r.iit encore attraper des noirs sur tous les

inciiihres.

Un autre petit malheur est sjK'cialenient ré- servé à tout promeneur qui , à dix heures du soir, flâne le long des trottoirs des rues mar- chandes, telles (jue les rues Saint-Denis , Saint- Martin et autres.

Nous voulons i)arler dos volets reçus dans le dos, dans le nez , et autres parties du corps. Les garçons de boutique ou les commis de magasin chargés de la mission de confiance de clôturer l'établissement sont toujours tellement charmés d'aller se coucher qu'ils couchent eux- mêmes sur le trottoir tous ceux qui se trouvent devant la porte de l'allée d'où ils sortent leurs volets avec cette aimable étourderie qui est l'apanage du caractère français.

\)\

Tiiis, pour jX'ii (juc l'on porde de Icinps clu'/. lapotliicaire à boire plusieurs verres d'eau de mélisse et à se tùter tous les membres les uns après les autres, minuit arrive, et on s'expose, m rentrant chez soi à cette heure indue, à tré- hiuher contre l'un des nombreux emhillissc- iiicnts (le Paris, qui émaillent presque toutes les rues de notre belle capitale.

Or, vous savez qu'un endiellissement de Ta- ris se compose invariablement d'un trou , d'un tas de pierres, d'un lampion, et d'un invalide couché en travers de la rue.

Quand l'invalide est poli , il ne jure pas trop après vous, mais il se rendort tranquillement en vous conseillant de vous relever.

92

Enfin , vers une heure du niatin , vous rcn- irez dans votre domicile, et, comme il est passé niénuit, la portière, se conformant h la (Iliarte , qu'elle a jurée, ne vous tire pas le moindre cordon.

-^lais si vous faites du tapage, la patrouille s'en mêle, et, grâce à elle, vous couchez, enfin, à la salle Saint-Martin.

Du reste , vous devez h cette circonstance l'occasion d'une flânerie dont il n'est pas donné à tout le monde de jouir ; la flânerie de la salle Saint-Martin, espèce de place publique parfai- tement pavée, complètement couverte et her- métiquement fermée, vous rencontrez une foule de confrères en flânerie, les tireurs, les bonjoiiriens , les charricurs, les Àiu6- ricains , etc. , tous gens d'un commerce fa- cile , peu fiers et très-familiers , qui mettent, du premier coup, les pieds dans le plat, et sur- tout les mains dans vos poches , gens que vous voyez en véritable déshabillé moral et ])hysi- que, sans gêne, sans art et sans fard , comme une petite maîtresse au bain, ce qui est, il est vrai, moins poli qu'instructif.

93 GIIAPITHE XIII.

Les quais et les passages.

our le llaneur tous les lieux ont leur mérite : mais ce- pendant il ne faut pas croire qu'il s'en aille au ha- sard, sans choix, sans préférence ; c'est bienun hom- me de trop de goût et d'esprit pour cela.

S'il sait parfaitement perdre son tcmi)s au besoin dans les rues déseites du Marais , dans les quartiers malsains du pays latin , il triomphe surtout dans les passages , il règne au Palais - Royal , et l'on s'écarte respec- tueusement devant lui sur le boulevard, le grand homme ! on sait trop (juelles précieuses

I

pensées l'occupent pour l'en dislraiie. Il passe entre la rue Grange-Batelière et la rue de la (^haussée-d'Antin , suivant lentement le boulevard, le cigare à la bouche. L'affairé trotte à grands pas, lui jette un regard de pitié, et se dit : Cet homme fume ou perd son temps. Double erreur! Cet homme liane. Admirable occupation, que tu ne con- naîtras jamais , esprit étroit, cjui arpentes le bi- tume municipal , comme s'il s'agissait d'un steeple chasse à travers les boulevards; car, il faut le dire, au dix-neuvième siècle , dans le siècle des lumières , des becs de gaz et des lampes plus ou moins Carcel, il y a encore des gens qui croient (pie le boulevard est une grande rue qui conduit de la Madeleine à la défunte Bastille, ([ui prennent un passage pour abréger leur chemin, et traversent le Palais- lloyal pour éviter les voitures. Ces gens-là, je le déclare à regret, ont tout mon mépris, et le flâneur partage mon opinion : ce c[ui nous honore tous deux.

Si l'homme affairé, cette mouche qui boui- donne dans tous les coins de Paris pour le mal- heur des citoyens honnêtes, est regardé comme l)i('n pende chose par le flâneur, il a peul-èlrr

l'iicorc moins cl't'sliine pour le badaud avec le qiu'l on l'a si impoliment confondu.

C'est dans les passages surtout ([u'on peut juger l'abîme (|ui les sépare , Le badaud est l;i , qui regarde stupidement toutes choses , (|ui s'arrête sans choix devant le premier mor- ceau de |)làlrc, décoré du nom de statuette ou (le char<j;e,

qui dé\or(' du regard les billets de bau(|i

96 et les piles de pièces de cinq francs du changeur avec une avidité indigne de l'ànie généreuse du flâneur. Que celui-ci est diffé- rent! s'il jette un coup d'œil chez Susse, du premier coup il s'arrêtera sur la plus élégante statuette de Barre, ou sur la charge la plus charmante et la plus spirituelle de Dantan. Il ne reste pas des heures entières h écouter l'ac- cordéon qui souffle éternellement Je vais re- voir ina Normandie, hFotfe, ou quelque autre nouveauté du même genre; mais il verra tout d'abord la dernière caricature de Dau- mier, le plus nouveau débardeur de la bande carnavalesque de Gavarni.

Aussi, il faut le dire, son autorité est in- contestée et respectée bien plus que celle d'aucun monarque constitutionnel ou non. Quand il s'arrête, on s'arrête à ses côtés; (juandil sourit, on sourit ; quand il approuve, on approuve ; ce qui ne laisse pas de flattei- infiniment son amour - propre. Enfin , le passage est le séjour préféré du flâneur ; c'est qu'il mène une délicieuse existence, émail- lée de cigares et de coups de coude. L'amour, le tendre amour a pour lui sous la forme des vertus sémillantes, mais un peu fragiles, des

97 magasins do iiKxk'S, dos laveurs à nulles autres pareilles. Parfois, aussi, il faut l'axouer, les susdites vertus, fortes de sa candeur et de sa générosité , lui rient au nez ([uand il l'allonge entre deux chapeaux ; mais ce procédé peu dé- licat n'appartient qu'à des âmes excessivement médiocres. Il pourrait se venger ; il pour- Kiit dire au grand brun qui vient solliciter une riiire\ue à la sortie de son étude, que le petit blond du magasin de nouveautés en a ob- lenu une le matin, à l'heure du déjeuner : il dédaigne de le faire , le grand homme !

Nous nous résumons. Sans les passages, le llaneur serait malheureux ; mais sans le flâneur, les passages n'existeraient pas. Allez rue de N endôme ; il y a une espèce de grand cor- ridor qui conduit au boulevard du Temple, le flâneur lui a refusé sa présence et son appui, et il est resté dans son obscurité et dans sa soli- tude. — O passage des l'anoiamas , passage de l'Opéra , si la reconnaissance n'était pas une chimère, on Urait sur votre fronton : Aux Flâneurs les Passages reconnaissants !

Quand les lilas fleurissent, que les feuilles s'entr'ouvrent , le flâneur généralement a be- soin de respirer les brises embaumées du prin -

7

98 temps, de réjouir son âme du spectacle de ia nature; et il se rend immédiatement sur le boulevard il étaljlit son domicile politique et civil jusqu'au mois d'octobre. Mais, hélas! chaque année lui enlève une de ses jouissances les plus chères. On a d'abord supprimé les pa- rades qui formaient, depuis la Gaîté jusqu'à la Bastille, un véritable spectacle gratis (il est des jours de profonde mélancolie ce mot gratis sourit particulièrement au flâneur malheureux) qui égayait sa mélancolie et chassait les noirs soucis qui parfois le poursuivent ; il disait alors : J'ai un spleen quelconque , je vais au boulevard du Crime et des saltimbanques , et il était guéri. Puis on a, sous prétexte d'embellissements, abattu les arbres qui avaient résisté à toutes les révolutions pour leur substituer des sortes de manches à balais revêtus d'une guérite verte. La guérite est fort à la mode au point de vue de l'art et du conseil municipal; enfin on a ren- versé toutes ces petites terrasses, où, chaque soir, les marchands de la rue Saint-Denis, les négociants retirés, sous l'aspect de magnifi- ques gardes nationaux , ou sous tout autre dé- guisement analogue, entourés de leurs épouses

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v[ (le leurs jt'uiK's moutards , consominaiont l<'nr bière et s'abaïKlonnaieiit aux cliarmes tic

musique ambulante, spectacle bien capable ■gaver un esprit observateur et vertueux. Sous prétexte {l'embellissements , c[u'a-l-on ssé au flâneur? Les bureaux de tabac, les ucliands de contremarques et le Journal I soir : telle est à cette heure sa triple siiactiou ; il fume son cigare, marchande ic stalle meilleur marché qu'au bureau , liète le Monilcu)' parisien; et, le cœur ;ible, l'àme satisfaite, va se coucher en lisant : le n'ai pas perdu ma journée.

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CHAPITRE XIV.

Les quais, les Tuileries et les Champs-Elysées.

Si vous suivez toute la ligne des quais, depuis Bercy jus- ^ qu'aux Invalides .

vous remarquerez qu'ils ne sont guère fréquentés ^^Ji&B^^ que par de très- ^ j^IL; vieux llaneurs, qui achèvent de descendre le fleuve de la vie et celui de la Seine, en marchandant tous les vieux bou- quins qui depuis un temps immémorial ont pris possession de tous les parapets.

\

101 Copciulaiit le quai de l'Horloge, ou si vous aimez mieux des Morfondus, est, dans les grands froids , le but de la promenade de bon nombre d'autres flâneurs de tout âge, qui vont consta- ter les degrés de froid au thermomètre de l'in- "énieur (ihevallier.

A cela vous me direz que tous les thermomè- tres du monde remplacent parfaitement celui de l'ingénieur Chevallier qui, après tout, n'est pas

102 le seul inventeur de la spécialité , c'est vrai , mais le flâneur n'aurait pas l'agrément de dire à ses connaissances : Nous avons eu aujour- d'hui onze degrés au-dessous de zéro, à midi ; je l'ai vu moi-même au thermomètre de l'ingé- nieur Chevallier,

Parlez-moi des Tuileries et des Champs-Ély- |,j sées ! Voilà des lieux de promenades l'on trouve du moins tout ce qui fait le charme des llaneurs, nous voulons dire des femmes, des arbres , des enfants , de la foule , et Polichi- nelle !

Allons à la terrasse des Feuillants par la place Vendôme. . . Suivons les larges trottoirs de la rue de la Paix et les arcades de la rue Castiglione ; ce chemin est déjà une promenade fort agréa- ble pour peu que vous aimiez les magasins les plus riches ; regardez adroite, h gauche, et par- tout vous verrez briller le luxe des Iwutiques ; les glaces, les marbres, les bronzes réservés au- trefois aux seuls palais, ornent aujourd'hui les magasins de toute nature. Traversons la rue RivoH, mais choisissons bien notre moment , si nous ne voulons pas être écrasés par lesinnom- l)rables voitures qui se dirigent incessamment sur les environs de Paris. Ce n'est pas le

103 ^(nll (langer qu'on ait à redouler , les voitures (■\ilées. la vie sauvée, il faut encore sauver sa l)()urse, tâche assez difficile, au milieu des in (liistriels de toute nature qui encombrent les iiottoirs, depuis la barrière du Trône jusqu'à la barrière de l'Arc-de-l'Étoile, marchands de chaînes de sûreté, de vraies cigarettes d'Kspa- '^ne, et le marchand de papier à lettre qui vous poursuit partout de son éternel six feuilles pour un sou.

lO/i

Nous voici enfin arrivé à la grille des Tuileries devant deux sentinelles dont la consigne est sé- vère, car au jardin des Tuileries, comme dans certains bals de société, une mise décente est (le rigueur. Ces sentinelles incorruptibles arrê- tent au passage les casquettes, les vestes, les pa- quets et les chiens qui ne justifient pas de leurs moyens d'existence , c'est-à-dire qui ne sont pas tenus en laisse par leurs maîtres.

C'est au mois de novembre que commence le printemps de la terrasse des Feuillants : les pre- miers promeneurs arrivent sur la terrasse en même temps qu'au théâtre Favart arrivent les Italiens, ces véritables hirondelles d'hiver. Rien de varié comme le coup d'œil qu'offre cette pro- menade par une belle journée d'hiver, lorsque les rayons du soleil, parvenant à percer l'enve- loppe du brouillard qui couvre le ciel de Paris , \iennent dorer les grilles des Tuileries. Les nondjreux et brillants équipages encombrent la rue de Rivoli; les chasseurs aux plumes vertes et ondoyantes abaissent le marchepied sur le- quel s'appuie à peine le pied mignon de la Pari- sienne. C'est alors que la terrasse des Feuillants est le lieu de rendez-vous non-seulement de tout Paris fashionable, mais même de toute l'Kurope

lOf) élégante. A côté de la mélancolique Anglaise aii\ yeu\ bleus, à la peau blanche et rose, aux longues boucles soyeuses qui encadrent un de I fs chai niants visages comme aimait à les repro- duire le pinceau de Lawrence , on aperçoit I i;s])agnole à l'œil noir, au pied mignon , à la ( licvelure d'ébène, an teint doré par le chaud soleil de Madrid ou de Grenade; puis arrive une blonde Allemande, que suit une Italienne an\ charmantes épaules; plus loin , vous ren- rontrez la Polonaise proscrite près de la Russe (iiL;ueilleuse , et la Iraîche Hollandaise près de la pâle , nonchalante et toujours gracieuse créole.

Dès qu'arrivent les premiers jours du prin- ii iiips; dès que les tilleuls laissent entrevoir leurs jeunes feuilles verdoyantes, toute cette !( iule élégante descend les escaliers de la terrasse, ei les petits pieds mignons et les bottes vernies \iennent fouler le sable de V allce des Oran- ^irsoude l' allce du Printemps, Ag\\\ nom?, ( liarmants, n'est-ce pas , et bien faits pour at- tirer les jolies promeneuses, et par conséquent les llaneurs parmi lesquels se distingue le fla- nenr artiste, flâneur solitaire qu'on voit étendu nonrjialamment sur deux, trois ou quatre chai-

106 ses, riant clans sa barbe et lorgnant impitoya- blement tous les ridicules dont il se souvien-

dra en temps opportun. C'est tout près de l'allée du Printemps, à l'angle du petit jardin du roi de Rome, que se trouve cet arbre singu- lier qui le premier, et long-temps avant les au- tres, annonce le printemps aux habitants de Paris; jamais le vingt du mois de mars n'arrive sans que ce marronnier, surnommé V arbre du 20 mars, n'étale ses feuilles vertes aux pre-

107 iiiit'ts c[ faibk's laxoiis du sok-il |)riiitaiiicr. Alors !i's cliarmaiits enfants des Tuileries viennent for- mer une ronde joyeuse autour de leur arbre favori, et, leurs petites mains entrelacées, ils tour- nent en chantant une de ces chansons tradition- lU'Ues de notre enfance. Les promeneurs, atti- rés par les éclats de leur joie naïve , viennent aussi lever les yeux vers les feuilles qui s'en- u'ouvrent, et saluent avec joie ces premiers messagers du printemps.

Knnous rendant près de l'arbre du 20 mars, nous avons passé devant un bon nombre de sta- iiies, et comme moi sans doute vous avez re- marqué que presque toutes sont dans unepudi- jue nudité, lin un siècle comme le nôtre le lus mince romancier prétend moraliser tes liasses, il est assez singulier que l'on ne trouve rien de mieux à exposer aux premiers regards de nos jeunes filles que des Hercule ou des \pollon , qui n'ont pour tout costume qu'un arc ou un javelot

Nous voici dans la grande avenue , et la L^rande avenue des Tuileries semble être encore a cent lieues de la terrasse des Feuillants; le pro- meneur de la grande avenue est généralement -simple soldat, et soldat simple à la l""' du 2',

108 (lu 25' ou de tout autre régiment : les jours il ne monte pas la garde pour la patrie, le mili- taire français vient aussi faire son tour aux Tui- leries. En société de deux ou trois amis , il se promène gravement en partant du pied gauche, leschako légèrement incliné en arrière, lesmains derrière le dos à l'instar de Napoléon et une petite branche verte dans la bouche, ce qui n'est plus h l'instar de Napoléon. Le guerrier fran- çais affectionne la grande avenue par deux rai- sons : parce qu'il aime la gloire et l'amour , et il trouve l'aniour et la gloire dans la grande avenue ; la gloire lui apparaît au loin sous la forme del'arcde triomphe del'Etoile, et l'amour est tout près sous le simple costume de bonne d'enfant. Les bancs de la grande avenue ont été les témoins de plus d'un tendre aveu , plus d'un Antoiiy à la tête brûlante et au casque de cuir bouilli a fasciné le cœur d'une faible femme; bien certainement c'est dans la grande avenue des Tuileries que Charlet, caché der- rière un arbre, aura croqué cette célèbre décla- ration d'amour commençant par ces mots : J'ai lu, madcmoisette , dans (es papiers pu- blics que nous étions réduits à trois ba~ laillons .'

109

Il n'y a rien de séducteur comme le I lançais en général , et le guerrier français en particulier; heureusement , l)ien heureusement pour la morale publique, l'entrée des Tuileries ( ^t interdite aux marchands de coco , boisson nationale, et première séduction d'un brCdant iniour; sans cela, comme l'a fort bien dit r.rutus , la vertu des bonnes d'enfants ne serait (pi'un vain mot !

IN)ur achever de faire connaissance avec les liiileries , il ne nous reste plus ciu'à visiter la Petite Provence , ce lieu de prédilection de renfance et de la vieillesse, ces deux âges ciui ont si besoin du soleil; mais nous sommes ar- I i\ é trop tard pour jouir du coup d'œil qu'offre (Cite partie du jardin. La nuit s'approche, le tambour de la retraite a sonné , la grille n'attend phis, pour sa refermer sur les promeneurs congé- diés, que la sortie des cinquante ou soixante promeneurs qui sont arrivés dans les Tuileries (1rs le lever du soleil, et({ui n'en sortent ([u'après II' coucher du même astre!

Nous voulons parler des infortunés débiteurs, (pii sont venus chercher dans le jardin royal un refuge inviolable contre les poursuites des tardes de commerce! Ouand les Tuileries sont

IIU fermées, le flâneur se jette dans les Champs- Elysées qui lui offrent une foule d'autres dis- tractions, depuis le théâtre du Cirque-Ol\ nipi- que jusqu'au théâtre de Polichinelle !

Il étudie avec une persévérance digne d'é- loges les deux longues lignes de gaz qui con- duisent à l'arc de triomphe de l'Étoile; parfois même, entraîné par ses méditations poétiques et gaziformes, il se trouve à l'entrée du bois de Boulogne : heureusement que la Charte de 1830 prohibe essentiellement les promenades noc- turnes, sans cela notre flâneur s'en irait ainsi jusqu'à Saint-Cloud ; pour se consoler il se re- jette de nouveau dans les Champs-Elysées qui. à cette heure , lui offrent tous les charmes de la solitude , de rares patrouilles de munici- paux, et de fréquentes rencontres d'industriels de grand chemin.

Aussi, rappelé cette fois à la réalité qui peut à chaque instant se présenter à lui sous la forme d'un gourdin beaucoup trop noueux , il ne respire librement que quand il contemple l'obélisque et le tourlourou qui défend nuit et jour la grande borne égyptienne contre les amateurs fanatiques qui seraient tentés de l'emporter, car l'aiguille de Luxor a plus (pic

111

lout aiilre iiKniiimciit U- privilège d'exciU'r l'admiration du badaud archéologique, qui à

112 toule force veut expliquer ou se faire expliquer les hiéroglyphes plus ou moius égyptiens qui font la joie de M. Haoul Rochette.

Puis, quand les jambes commencent à refu- ser leur service et menacent de se dérober sous le flâneur qui en a fait un usage trop prolongé, tous les plaisirs ne sont pas encore finis ; grâce aux cafés en plein vent ou pour huit sous, le llaneur se procure l'agrément d'une chaise, d'une table, d'une bouteille de bière et de deux chanteuses; ou bien \\ honore de sa 'présence le cirque des Champs-Elysées, car Favori, Partisan, Capitaine, tous les chevaux sau- teurs, gastronomes ou savants, sont les amis naturels du flâneur qui connaît par son nom le personnel entier de Franconi, depuis Baucher, Aurioi et les clowns, jus({u'au moncheur de quinquets.

us CHAPITKK \V.

Conseils à l'usage des Flâneurs novices.

oulez- \ous faire une simple pio- nienade, sortez avec un ami. Tenez -vous à ^ flâner , sortez seul. OresteetPy- iade , Castor et Pollux , St-Rocli et son ciiien , vingt autres personnages, plus ou moins histo- riques, dont l'amitié est célèbre dans l'histoire, ne seraient jamais |)arvenus à flâner en paix pendant huit jours de suite.

Yuus aimez Polichinelie,

pendant que votre ami n'affectionne que les boutiques de marchandes de modes ; vous resteriez deux heures devant les caricatures d'Aubert, tandis que votre compagnon n'aime à regarder que les statuettes de chez Susse ; vous voudriez suivre une simple grisette , pendant que votre coflaneur vous, ferait écraser.

115 nii, pis {{uc cela, éclabousser par la voiture d'une grande dame qu'il aurait voulu admirer de trop près.

Pendant que l'un tirerait à droite, l'autre tirerait à gauche; et une flânerie pareille serait capable d'user on moins de rien l'amitié la plus grande et les manches d'habit les plus solides.

S'il est déraisonnable de flâner en compa- gnie d'un ami , il est impossible de flâner en compagnie de plusieurs amis : la flânerie n'est ]>lus ((u'une rapide promenade.

Les flâneries faites en compagnie d'une femme sont encore bien plus h éviter.

Comment! même avec une jolie femme? me dites-vous.

Oui, monsieur ; et surtout avec une jolie femme !

Car les femmes ne comprennent les flâneries et les stations que devant les chapeaux des mar- chandes de modes et les bonnets des lingères , à moins pourtant que ce ne soit devant les cachemires et autres bagatelles, dont l'aspect seul donne le frisson à tout mari, ou à tout autre jeune Français exerçant un emploi à peu près analogue.

116

Quand on conduit sa fennnc ou sa maîtresse aux Tuileries ou au spectacle , ce qu'il y a de plus économique c'est de prendre une voi- ture.

Le malheureux qui veut faire cette économie de trente-deux sous court risque de payer en place un chapeau de trente-deux francs, ou de passer pour un avare, ou pour un être mas- culin bien peu galant. Et alors le risque est encore bien plus effrayant pour l'avenir; c'est à en faire dresser les cheveux sur. . . le front! C'est à en rêver séparation de corps, juges, avocats, avoués ;

c'est à en avo'ir le cauchemar.

in

Si vous êtes obligé de flaiiei" avec un impor- tun, qui s'est attaché à vos pas et à votre bras, en attendant que vous ayez trouvé un motif quelconque pour vous en débarrasser, ayez tou- jours soin de lui offrir le bras de manière à ce que vous gardiez vous-même le côté du trottoir le plus rapproché des boutiques; vous aurez l'air de faire une politesse à votre co-flaneur, qui vous garantira parfaitement de toutes les éclaboussures des cabriolets et omnibus : il v(fUs aura du moins servi h cela.

Si vous tenez absolument à vous débarrasser d'un de ces importuns que l'on rencontre à presque tous les coins de rue, amis intimes dont on sait à peu près le nom. A l'éternelle question qu'il ne manquera pas de vous adres- ser, en vous prenant le bras, question qui est celle-ci: allez-vous Prépondez: Je vais chercher de l'argent chez plusieurs personnes qui m'en doivent, je n'ai plus le sou.

Vous pouvez être certain que votre ami, fùt- il même le plus intime, vous quittera immédia- tement, de crainte que vous n'ayez l'idée de lui emprunter cinq francs.

Le flâneur qui a pour principe d'aller tou-

118 jours tout droit devant lui est digne tout au plus de devenir un jour cocher d'omnibus , et encore sur la ligne des boulevards.

L'homme qui sort de chez lui à dix heures du matin, en se promettant de flâner jusqu'au soir, doit plutôt se dire qu'il va s'ennuyer jus- qu'au soir ou qu'il va ennuyer ses amis ;

''W^'^fi

le plus grand charme de la flânerie c'est d'ê- tre imprévue ; et le flâneur qui goîite le plus

de plaisirs esl celui qui sort de chez lui pour aller à un rendez-vous d'affaires ou ([ui est toujours sous le coup d'un travail quelconque.

Voyez plutôt les petits clercs d'avoués et les employés dans les bureaux, qui trouvent moyen de mettre trois heures pour faire une course qui demanderait dix minutes au commission- naire du coin.

Pour peu que vous teniez à votre foulard, à votre montre, à vos pans d'habit et à vos côtes, ne vous fourrez jamais dans la foule qui encom- bre les abords d'un feu d'artifice.

Par les mêmes raisons que ci-dessus , ne vous risquez jamais dans le passage des Pano- ramas le jour du Mardi-Gras.

Si vous avez la vue basse , gardez-vous bien de lorgner jamais une vieille femme ou un ser- gent de ville. D'abord ce sont des points de vue fort désagréables ; ensuite ces deux clas- ses, pour lesquelles je professe beaucoup de vé- nération du reste, croient toujours qu'on veut les insuher; et rien n'est plus dangereux que la colère d'une vieille femme , si ce n'est celle d'un sergent de ville.

Si vous avez la faiblesse d'aller régler votre montre sur le coup de canon du Palais-Royal ,

1-20 méfiez-vous des gens qui s'approchent de vous sous le prétexte de régler aussi leur montre sur la vôtre ; car très-souvent il arrive que c'est la vôtre qui finit par aller avec la leur. Heu- reux si votre bourse ne s'est pas dérangée du même coup.

A moins devons prendre pour un jobard pur sang, je n'ai pas besoin de vous recommander de ne jamais acheter les lunettes en or ou autres bijoux qu'un monsieur vient de trouver à l'in- stant dans la rue , et qu'il vous propose à vil prix. Si vous donnez cent sous, vous êtes volé de cinq francs.

11 vaut bien mieux acheter cinq exemplaires de la Physiologie du Flâneur.

Terminons par quelques remarques et apho- rismes de notre ami Ch. Philipon , qui connaît la flânerie pour l'avoir long-temps pratiquée :

L'homme affairé regarde sans voir , l'oisif \()it sans regarder, le flâneur voit et regarde.

Ne flâne pas ou ne sait pas flâner, celui qui marche vite, celui qui bâille dans la rue, celui qui passe h côté d'une jolie femme sans la regarder, devant un étalage ou près d'un sal- limbanqne sans s'arrêter.

Le vrai flâneur a le droit d'ignorer le grec ,

1-21 le latin, les inalliéniatiqucs el les autres siipei- lluités scieiililK[ues ; mais il doit connaître ton- tes les rues , toutes les boutiques de Paris , savoir au juste quelle est la plus jolie chapclière , modiste , charcutière, limonadière, etc., etc. Il doit être parfaitement au fait de tous les tours de passe-passe des prestidigitateurs, escamo- teurs, banquistes , marchands de chaînes de sûreté, etc. , etc. Il doit savoir par cœur toutes les affiches de la capitale , celles des docteurs Albert et Giraudeau , médecins brevetés pour les traitements sans mercure et sans guérison; celles de M. Leperdriel , breveté pour les taffetas et les petits pois : celles de M. Darbo, ! nourrisseur , breveté pour sa tétine, etc. , etc. Il doit connaître tout cela et bien d'autres cho- ses encore, car il devient pohglotte par la seule pratique de la flânerie : à force de lire sur les carreaux des marchands

ENGLISH SPOKEN HERE ,

ou bien

QUI SI PARLA ITALIANO ,

il prend une teinture de l'anglais el de l'ita- lien , et comme il n'a pas la prétention de tra-

\'2'2 duire Shakspeare on le Uante , il s'en lieiii ; mais ce qui vaut mieux, il connaît toutes les beautés de sa langue maternelle, il comprend le charabias politique, Wmaquille le truc (1 ) des filous et ne les laisse pas e/faroucher (2) sa toquante (3) ; la langue des galopins , la belle langue des niuche, mac lie, iiiar , n'a point de mystère-mwc/te pour un flane-z/mr, et si le cocher de coucou dit, en parlant de lui, à son camarade(i) : « Ce Lobard-j me lonne-d « lent-c sous de lop-tr , » il comprend qu'il vient de commettre une erreur arithmétique.

Vous voyez bien que le flâneur a l'esprit fort cultivé : aussi n'est-il pas un sot.

Le sot se promène , il ne flanc jamais.

L'homme bête flâne quelquefois, l'homme d'esprit flâne souvent.

Le vrai flâneur va dans un sens jusqu'à ce qu'une voiture qui passe devant lui, un embar- ras quelconque , un étalage qui fait le coin

(1) Il parle l'argot.

(2) Voler.

(3) Sa montre.

{l\) Cette charmante phrase se prononce ainsi : Ce hobnrji me lounedé leulré sous de loptre, et signifie : Ce Jobard me donne cent sous de trop.

123 d'une rue, une poussée, un a)up de coude lui imprime une autre direction. D'accident eu accident, de poussée en poussée, il va , vient , revient et se retrouve ou très-près ou très -loin de chez lui , suivant la volonté du hasard.

Tel flâneur sort de sa maison pour prendre l'air avant le déjeuner, qui, le soir, se trouve chez un de ses amis à Vincennes. Il y cou- che, se remet en route le lendemain matin, et arrive pour dîner.... chez un ami de Vaugi- rard.

L'homme qui, se promenant avec plusieurs personnes, s'imagine flâner, est un niais : on ne flâne que seul ou en compagnie d'im autre flâ- neur, au plus. On ne flâne que hors de chez" soi, l'homme qui croit flâner dans sa maison se trompe , il Jie fait que muser.

Le musard est celui qui dit : «Je m'en vais, je m'en vais,» et qui retient toujours son inter- locuteur par un houton de son habit.

Le musard babille et ne pense guère , le flâ- neur pense beaucoup et parle peu.

Le musard est le singe du flâneur, il en est la caricature et semble fait pour inspirer le dé- goiit de la flânerie.

Quand j'aurai quitté les affaires, dit le naïf

126 épicier, je serai joliment llaneur, el le pauvre épicier se retire un jour du coniniorce , tue le lemps h grand'peine , mais reste Gros-Jean comme devant.

(l'est que, pour flâner, il faut un fonds, une richesse que la vente du raisin sec, de la chan- delle et des paquets de ficelle ne saurait don- ner.

Le véritable flâneur ne s'ennuie jamais, il se suffit à lui-même et trouve dans tout ce qu'il rencontre un aliment à son intelligence.

Voyez, par exemple, un honnête épicier arrêté devant une boutique , quelle idée cette étoffe nouvelle va-t-elle éveiller dans sa tête ? Ceci est joli ou cela n'est pas beau , une robe semblable plairait à ma femme ou ne lui plai- rait pas : cela dit ou pensé, notre homme passe. Vn (laneur survient, et il s'arrête deux heures devant le même objet. Pourquoi ? C'est qu'il voit dans cette même étoffe bien d'autres sujets de réflexion que son naïf prédécesseur ! Il con- temple l'aspect général du dessin, l'effet de la couleur , le mariage des tons qui composent l'ensemble ; il voit dans le goût de ce dessin une direction nouvelle , ou un retour au goût d'une autre époque ; son esprit abandonne

1-2 .s rétala<^o du niaicliaiul , reiiiouto au pioducteiu-, se reporte aux moyens de la fabrication, passe en revue les débouchés de la fabrique et suit le manufacturier sur les places de Leipsig , de Londres et de Saint-Pétersbourg ; enfin , le même morceau d'étolTe lui présente mille su- jets de réllexion, que l'autre spectateur n'avait pas même soupçonnés, et lui fournit l'occasion d'un long voyage dans le monde imaginaire , le monde brillant, le meilleur et surtout le plus beau des mondes possibles.

De tout ce qui est dit ici et de tout ce (jui en est la conséquence logique , il résulte que celui-là ne mérite pas le beau nom de 11a- neur, qui ne possède pas les qualités suivantes :

De la gaieté dans l'occasion ,

De la réflexion au besoin ,

De l'observation toujours,

Quelque peu d'originalité ,

Ln esprit mobile,

Plus ou moins d'instruction .

Et surtout une conscience qui le laisse en repos.

Comment s'étonner, après cela , (|ne tant de gens veuillent être flâneurs quand même ! (llia- cun cherche à s'habiller le mieux possible et à

I:î6 cacher ses imperfections ; chacun travestit ses vices en vertus, et veut être plus ou moins flâ- neur.

Demandez à ce paresseux pourciuoi il ne tra- vaille pas, à cet artiste incomplet pourquoi il ne termine jamais un tableau, à ce benêt qui bâille aux corneilles ce qu'il fait dans la rue, ils vous répondront tous: nous flânons.

Arrière !

Vous, flâneurs ! j'aimerais mieux encore ap- peler flâneur l'agent de police consigné sur le trottoir, l'homme-affiche qui circule sur les places publiques , le conducteur d'omnibus qui passe 14 heures sur 2^ à aller et venir sur la même hgne , ou même le factiomiaire qui ba- guenaude devant sa guérite.

TABLi:.

CHAPITRE 1". Nouvdio ikfinition de l'homme. 1 CHAPITRE II. Est-il donné à tout le monde de

pouvoir llaner ? 10 CHAPITRE III. Des gens qui s'intitulent très-

faussenicnt flâneurs. 16 CHAPITRE IV. l'on prouve que le flâneur

est un mortel essentiellement vertueux. 2/i CHAPITRE V. Le musard. 32 CHAPITRE VI. Le badaud étranger. Si) CHAPITRE VII. Le batteur de pavé. âii CHAPITRE VIII. —Le parfait flâneur. r)3 CHAPITRE IX. Le flâneur militaire. (iO CHAPITRE X. Le gamin de Paris. 68 CHAPITRE XI. Les petits bonheurs de la flâ- nerie. 75 CHAPITRE XII. Les petits malheurs de la flâ- nerie. H.i CHAPITRE XHI. Les quais et les passages. 93 CHAPITRE XIV. —Les quais, les Tuileries et les

Champs-Elysées. 100 CHAPITRE XV. Conseils à l'usage des flâneurs

uoNiccs. 113

À la Cibiûiiif ^f-raïuaief et (ÊtraïuÙTf ,

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LAVATER, LA PH\S10GX0110\'IK,

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